Le 3 août 2021, la loi relative à la bioéthique élargissait l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Auparavant, seuls les couples hétérosexuels, sur indication médicale, pouvaient recourir à cette technique afin de concevoir un enfant. En quatre ans, quelles sont les conséquences de cet élargissement ? Quel est le délai d’attente pour les couples de femmes et les femmes seules avant d’accéder à la PMA ? Quelles sont les formalités administratives ? Six femmes concernées ont accepté de raconter leur parcours.
Noémie : « Notre petite fille est prévue pour octobre prochain ! »
Avec ma conjointe, après trois ans de relation et notre PACS, on s’est dit que c’était le bon moment pour lancer notre projet de bébé. On a débuté par un parcours à l’étranger, par manque de communication et de confiance sur les possibilités en France. 10 000 euros, trois échecs et une fausse couche plus tard, on s’est tournées vers les centres français.
Nous avons obtenu notre premier rendez-vous le 19 janvier 2023. La médecin a repris l’intégralité de notre parcours à l’étranger et a vite identifié un problème : une sur stimulation qui a vraisemblablement eu l’effet inversé que ce que l’on souhaitait. Notre médecin a très bien fait les choses, nous a expliqué en détail le but de chaque examen et a inclus ma femme comme deuxième parent, dès le départ. En revanche, on a eu grand sentiment de perte de temps lors du rendez-vous obligatoire avec la psychologue, qui nous a posé des questions du type : “Avez-vous des repères masculins dans votre vie”.
Après l’accord de la psychologue en juin 2023, on a dû attendre six mois pour obtenir le rendez-vous obligatoire avec le biologiste. Alors que tout s’était bien passé, il nous a imposé un délai de réflexion de six mois supplémentaires. On s’est senties pénalisées. On n’a donc obtenu l’accord définitif du CECOS qu’en mai 2024, après un an et demi de parcours purement administratif.
On s’est senties comme dans un cocon à l’institut, on a été très soutenues par toute l’équipe médicale qui n’a jamais cessé de nous encourager. Par exemple, en novembre 2024, notre médecin a remarqué que je portais déjà un pull de Noël et a organisé l’insémination suivante avec une playlist et un plaid de Noël ! Ce sont ces petites attentions qui changent la façon dont on se sent. Après trois ans de parcours, je ne supportais plus la vue d’une femme enceinte. Heureusement, notre couple est solide et l’équipe nous a beaucoup déculpabilisées.
Pendant le parcours d’insémination, c’est à nous de récupérer la bonbonne avec la paillette de sperme à l’intérieur au CECOS, de la déposer au laboratoire de l’institut privé que nous avons choisi, puis de ramener la bonbonne vide au CECOS, ce qui demande pas mal d’organisation et ne nous a pas semblé très sécurisant. On a beaucoup échangé avec nos médecins sur la pénurie et la qualité des paillettes, mais on n’a jamais eu de problème.
En janvier 2025, ça a fonctionné, et notre petite fille est prévue pour octobre ! Donc entre le premier rendez-vous et la tentative fructueuse, deux ans se sont écoulés. Il est primordial d’être bien entourées quand on se lance dans ce type de parcours et de bien communiquer au sein du couple. Il faut s’armer de patience et effectuer les démarches juridiques en amont, car chaque centre a besoin des actes à différents moments. Un parcours de PMA est fatigant physiquement et moralement, et à chaque tentative les variations d’hormones entraînent des sautes d’humeur, donc c’est une épreuve pour un couple. Il faut être sûre d’être avec la bonne personne avant de se lancer !
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Avec ma compagne, nous décidons de nous lancer dans la folle aventure de fonder une famille après quatre ans de relation et prenons rendez-vous en février 2023 au CECOS du CHU de Bordeaux, le seul de Gironde. Premières difficultés : le site Internet n’est pas du tout intuitif et il est très difficile d’obtenir quelqu’un avec qui parler au numéro de téléphone indiqué.
Nous obtenons un premier rendez-vous pour mi-juillet 2023, lors duquel nous rencontrons un médecin qui nous pose de nombreuses questions et nous transmet une liste d’examens. Je réalise les examens dès mon cycle suivant et nous rencontrons la psychologue du service en septembre. C’est d’ailleurs la seule professionnelle qui a vraiment pris le temps de nous écouter et de nous rassurer ! Notre dossier complet est déposé fin septembre et validé début novembre.
Dès la validation du dossier, nous rencontrons un notaire pour rédiger une déclaration anticipée de parenté et signer notre consentement. Mi-janvier 2024, nous rencontrons une biologiste. Notre dossier est validé avant le changement de régime des donneurs, donc l’anonymat était encore possible et nous avons eu le droit à six inséminations artificielles avec don de sperme (IAD) et trois fécondations in vitro (FIV).
On a choisi de poursuivre notre parcours dans une clinique, car elle était plus proche de chez nous, mais nous n’avons pas été informées que ce serait, dans ce cas, à nous de récupérer le don au CHU et de gérer son transport, ce qui nous a beaucoup stressées. Après tout, ce n’est qu’une bonbonne d’azote contenant notre chance de devenir mères !
La première IAD a eu lieu en avril 2024. Jusqu’en septembre, nous n’avons eu que des échecs. À chaque échec, on nous répète que c’est normal et que tout va bien. Mais on ne va pas se mentir : on culpabilise, on se dit que notre corps n’en est pas capable… En décembre 2024, nous entamons les FIV mais essayons d’intégrer le protocole à notre quotidien et de ne plus vivre uniquement autour des traitements. On aborde cette étape avec plus de légèreté.
On a une réunion d’information pour nous expliquer ce qu’est la FIV, avec un diaporama à visionner chez soi, où on ne parle que de couples hétérosexuels ! On en rigole, mais en réalité, sur le moment, ce n’est pas agréable du tout. En décembre 2025, la ponction est effectuée. Résultat des courses : un joli kyste sur l’ovaire et un magnifique positif le 26 décembre ! Nous avons eu neuf embryons congelés, on se sent extrêmement chanceuses.
On aurait aimé savoir que la gynécologue du centre de fertilité ne suit la grossesse que jusqu’au troisième mois, ça nous aurait évité beaucoup de stress alors qu’on ne savait pas vers qui se tourner. Je conseillerais donc d’être accompagnée par une personne indépendante du système, comme une sage-femme, qui pourrait suivre l’intégralité du processus. Il est très important de se renseigner en amont et de prendre du temps pour soi pendant, parce que c’est une charge mentale énorme, que l’articulation avec les vies personnelle et professionnelle est très délicate et qu’on peut souffrir d’un manque d’empathie de la part du corps médical.
Lauticia : « L’adoption de la loi de bioéthique de 2021 m’a libérée »
J’ai toujours su que je voulais des enfants, mais ma vie de couple n’a pas permis de réaliser cette envie. J’avais commencé à me dire que je n’aurais pas d’enfants, car même si j’avais eu l’idée de faire un enfant seule, je n’avais pas les moyens d’aller en Espagne ou en Belgique. L’adoption de la loi de bioéthique de 2021 m’a donc, en quelque sorte, libérée. En 2022, j’ai 35 ans, et je commence à me renseigner, aidée par des témoignages de Judith Duportail et de la série documentaire d’Océan avec son amie Sophie-Marie Larrouye.
Début janvier 2024, je me suis inscrite auprès de l’hôpital Tenon pour une PMA seule. On m’a d’abord informée de la longueur des délais et de la possibilité d’avoir mon premier rendez-vous seulement en mars 2025. Finalement, on m’a rappelée à la suite d’un désistement pour un premier rendez-vous en octobre 2024. J’ai déjà entendu des personnes dire qu’elles avaient attendu deux ans avant le premier rendez-vous, donc je mesure ma chance !
Après les rendez-vous obligatoires avec la psychologue et la biologiste, mon dossier a été accepté en novembre 2024. En février 2025, on opte avec la gynécologue pour une procédure en trois essais avec insémination et don de sperme, avant de tenter la FIV. Je suis enceinte aujourd’hui, après deux essais avec don de sperme !
Avec le recul, j’aurais dû poser plus de questions aux médecins lors des rendez-vous de suivi. Par exemple, je ne savais pas qu’il fallait attendre au moins une heure que les paillettes soient décongelées, et la première fois cela a causé du stress et de l’énervement, qui auraient facilement pu être évités. Comme conseil, je donnerais celui qui m’a semblé le plus stratégique : s’inscrire même si on n’est pas sûre à 100 %, car les délais d’attente sont longs et que l’attente est aussi un moment de maturation du projet. Au pire, le désistement fera une heureuse !
En outre, la stimulation peut être extrêmement fatigante et, en tant que femme seule, j’ai apprécié que mes collègues soient au courant et me disent de prendre soin de moi, de me reposer. Les rendez-vous médicaux peuvent aussi entraîner des retards et des absences, qui sont de droit d’ailleurs ! Enfin, quand mon premier essai n’a pas marché, je me suis sentie complètement désœuvrée, comme si je n’avais plus rien à faire jusqu’au suivant. Donc même s’il faut se dégager du temps et de l’espace mental pour la PMA, il vaut mieux que ce ne soit pas la seule chose dans notre esprit.
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Nous avons pris la décision de recourir à la PMA afin d’avoir un enfant, car j’avais le désir de porter un enfant et que nous savions qu’en dépit de la loi, les délais pour une adoption en tant que couple queer étaient compliqués. Mon époux est un homme trans, mais nous avons entrepris ce parcours avant sa procédure de transition de genre et quand nous étions donc perçus comme un couple de femme. Nous souhaitions avoir cet enfant dans un cadre légal afin d’être tous les deux reconnus comme parent, sans passer par une procédure d’adoption qui aurait pu mettre notre enfant dans une situation administrative dangereuse.
Nous avons donc refusé de nous rendre à l’étranger, dans une démarche militante, et il a été très douloureux d’attendre la promulgation de la loi, pourtant évoquée dès le mariage pour tous. Nous nous étions mariés en 2013 et je suis tombée enceinte le 1er octobre 2023. Nous nous sommes tournés vers le CECOS de Lyon où nous n’avons souffert d’aucune forme de discrimination. Notre gynécologue a été formidable, présente sans être intrusive.
Entre le premier contact avec notre gynécologue et l’insémination, il s’est écoulé deux années. Ça aurait pu être plus rapide je pense, mais j’ai rencontré beaucoup de difficultés à obtenir un rendez-vous pour l’hystérosalpingographie, obligatoire pour la constitution du dossier de liaison entre la gynécologue et le CECOS.
La patience est le conseil le plus important que je puisse donner. Je sais à quel point c’est un parcours éprouvant, physiquement et émotionnellement. Pour les personnes qui entament cette démarche seules, je conseillerais d’être bien entourées, et d’avoir un système de soutien solide et fiable pour les moments difficiles. Dans un parcours en couple, je conseillerais au ou à la partenaire qui ne porte pas l’enfant d’être présent.e à tous les rendez-vous, même lorsque ce n’est pas obligatoire. Porter un enfant est une expérience magnifique, mais aussi épuisante, terrifiante et émotionnellement complexe — et, sans point de comparaison, donc je ne peux parler que de mon expérience — une PMA l’est d’autant plus qu’elle est souvent liée à une parentalité longuement fantasmée.
Élodie : « Le parcours de PMA m’a semblé interminable »
Avant l’âge de 28 ans, je pensais que je ne voudrais et n’aurais jamais d’enfant. Jusqu’à ce que ce désir unique et incontrôlable m’anime jusqu’au plus profond de mon être. J’ai parlé de ce besoin viscéral avec mon compagnon pendant plus de sept ans, persuadée que mon souhait de parentalité était partagé. À notre rupture, j’ai décidé de faire un enfant seule, portée par l’idée que c’était mieux que de lui donner un père instable, défaillant, qui n’en voulait pas réellement. J’ai choisi un donneur anonyme et j’ai toujours expliqué à ma fille qu’on pouvait être reconnaissantes de sa générosité, mais que le donneur n’est pas un père, qu’il n’a aucun droit, ni devoir, envers elle et qu’une famille peut être composée d’un papa et d’une maman, ou de deux papas, ou de deux mamans, ou comme la nôtre, d’une maman, d’un enfant et d’un chat !
Le parcours de PMA m’a semblé interminable avec tous les examens, les délais entre chaque rendez-vous, le mois de pause avant de réessayer après chaque échec… J’ai eu mon premier rendez-vous en décembre 2021 et ma première FIV en octobre 2023. L’équipe médicale du CECOS de Bordeaux avait l’air débordée et, mis à part la psychologue, je ne me suis pas sentie correctement accompagnée. Au-delà des injections d’hormones, des prises de sang, des examens gynécologiques et des opérations sous anesthésie générale, le plus douloureux, c’est de voir son ventre rester vide.
Heureusement, ma famille était au courant de ma démarche et j’ai pu bénéficier de leur amour et de leurs encouragements, même si le second transfert s’est soldé par la perte d’un bébé à naître et que celui-ci, je l’ai gardé pour moi et ai décidé de ne pas en parler. Le parcours est long et douloureux, et je conseillerais de bien réfléchir à son projet. En tant que femme qui fait un enfant seule, il faut pouvoir assumer les doutes, les peurs, les moments de solitude, le manque de sommeil, les difficultés pour l’allaitement… On a nécessairement besoin de relais, de soutien.
Alicia : « On est loin d’une procédure de confort, comme on peut l’entendre parfois »
Avec ma compagne, nous avons eu le bonheur d’accueillir notre petite Albane en octobre 2023, grâce à la loi de bioéthique et après un parcours de cinq ans, commencé en Espagne, faute de loi nous permettant de le faire en France. Mais après sept tentatives (6 IAD et 1 FIV), aucun test n’avait jamais été positif. Alors quand la loi a été votée en France, on a voulu réessayer et on s’est inscrites au CECOS de Nantes. C’est là-bas qu’ils ont détecté la maladie auto-immune de ma compagne, qui avait rendu notre parcours si difficile. Un traitement a été mis en place et nous avons pu démarrer le parcours de PMA bien plus vite que ce qu’on aurait pu penser.
Nous avons réalisé deux FIV. La première, en juin 2022, s’est soldée par une douloureuse fausse couche. Et la deuxième, en février 2023, nous a rendu les plus heureuses du monde ! En comparaison avec notre parcours en Espagne, le processus en France nous a semblé plus fluide, plus simple, moins énergivore. Nous avons été très soutenues par nos proches et nous nous sommes tournées vers une association pour des conseils d’ordre administratif. Lors de notre premier rendez-vous en France, on avait presque perdu tout espoir, et on a eu la chance de rencontrer une médecin qui a été formidable, très humaine, qui nous a donné envie de nous battre encore !
On est extrêmement reconnaissantes envers toute l’équipe du CECOS de Nantes et bien sûr envers le donneur, qui a fait un geste incroyablement altruiste, qui nous comble de bonheur. Je tiens à dire que, même si on a eu la chance d’avoir un parcours qui se termine bien, faire une PMA, ce n’est jamais de tout repos. Il y a les piqûres quotidiennes, les examens douloureux, la prise d’hormones, les nombreuses échographies pelviennes… On est loin d’une procédure de confort, comme on peut l’entendre parfois. C’est dur et très intrusif, notre vie est mise entre parenthèses. Tout tourne autour de ça et quand ça ne fonctionne pas, ça devient presque obsessionnel.
Alors notre conseil serait de continuer à travailler, à sortir, à voyager si on le peut, à tenter de penser à autre chose, voire, à avoir d’autres projets en parallèle. Et surtout, il faut toujours garder espoir !