Le syndrome de Rokitansky fait parfois parler de lui lors de greffes d’utérus, chez des femmes qui sont nées sans utérus. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et au-delà de l’absence d’utérus, qu’est-ce qu’impliquent ce syndrome et son diagnostic chez les femmes atteintes ? Éclairage.
Qu’est-ce que le syndrome d’agénésie utérine, ou syndrome MRKH ?
« Plus qu’une malformation, ce syndrome est plutôt une non-formation », souligne le Dr Alaa Cheikhelard, chirurgienne pédiatrique au Centre de Référence des Pathologies Gynécologiques Rares de l’Hôpital Necker-Enfants Malades (Paris). « Le terme scientifique est « aplasie utérovaginale ». Or, aplasie signifie « qui ne s’est pas développé ». Ici, il s’agit d’un non-développement de l’utérus et d’une partie du vagin », poursuit-elle.
La spécialiste explique que, lors du développement embryonnaire, des canaux, appelés canaux de Müller, sont censés évoluer pour donner les organes génitaux féminins internes, autrement dit vagin et utérus. Dans le syndrome de Rokitansky, ou syndrome MRKH (voir ci-après pour la nomenclature), ces canaux n’ont pas évolué jusqu’à aboutir à l’utérus et le vagin tels qu’ils sont censés être chez une femme. D’où le terme de non-formation plutôt que malformation.
Il s’agit en tout cas d’un phénomène congénital. Une cause génétique (mutation) est soupçonnée, au vu de formes familiales, avec des proches atteints d’autres types de malformations (rénales notamment). Mais à ce stade, aucun gène spécifique n’a été clairement identifié.
Notons que l’absence d’utérus signifie impossibilité à tomber enceinte. À moins, on le verra, d’avoir recours à une greffe d’utérus, technique encore à l’essai (voir paragraphe dédié).
Syndrome de Mayer Rokitansky Küster Hauser, ou MRKH : l’origine du terme
Mayer, Rokitansky, Küster et Hauser sont les noms des médecins qui ont décrit le syndrome. En France, le terme de syndrome de Rokitansky a souvent prévalu car ce médecin était plus connu. Mais désormais, c’est l’appellation Mayer Rokitansky Küster Hauser, ou MRKH qui est la plus utilisée, du moins par le corps médical, et les associations de patientes internationales.
Quelle est la prévalence de ce syndrome ? Est-ce considéré comme une maladie rare ?
La prévalence mondiale du syndrome de MRKH (type 1 et type 2) est d’une sur 4 500 naissances féminines vivantes, selon le site sur les maladies rares Orphanet. Le syndrome de Rokitansky peut donc être considéré comme une maladie rare, puisqu’une maladie est dite « rare » lorsqu’elle atteint une personne sur 2 000 ou plus.
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Comment savoir si l’on a le syndrome de Rokitansky ?
Le syndrome MRKH passe généralement inaperçu dans l’enfance. C’est à l’adolescence que l’absence de règles (ou aménorrhée primaire) peut mettre la puce à l’oreille. Car c’est le seul symptôme visible. Les jeunes filles vivent par ailleurs une puberté « normale » avec le développement de la poitrine, l’apparition de poils pubiens, etc., rendus possibles par la présence des ovaires, qui fonctionnent normalement.
« Avant la puberté, l’échographie a une valeur très relative, autrement dit elle n’est absolument pas fiable pour diagnostiquer ce syndrome », l’utérus étant par ailleurs tout petit chez le bébé, et les petites filles, nous explique le Dr Cheikhelard.
Quand s’inquiéter de l’absence de règles ?
Le Dr Cheikhelard estime qu’il est bon de s’interroger et de consulter vers l’âge de 16 ans en cas d’absence de règles, lorsque les premières règles ne sont toujours pas venues. « L’âge moyen de découverte du syndrome dans le monde est 16 ans et demi », précise-t-elle.
L’imagerie pour poser le diagnostic
« Les deux examens principaux pour faire le diagnostic sont l’échographie, qui est plutôt un examen de « débrouillage », et, le « vrai » examen, 100 % fiable : l’IRM pelvienne. C’est le meilleur examen pour faire le diagnostic, pour lequel il y a zéro doute sur l’absence d’utérus et l’absence de col de l’utérus », nous indique le Dr Alaa Cheikhelard.
Concernant le vagin en revanche, l’observation de son absence n’est pas indispensable pour poser le diagnostic. Autrement dit, l’examen physique par toucher vaginal, le seul permettant d’indiquer la profondeur du vagin, n’est ni indispensable, ni obligatoire. Une fois l’IRM ayant posé le diagnostic par l’absence d’utérus et de col d’utérus à l’imagerie, les jeunes filles sont libres de décider si elles souhaitent en savoir plus quant à l’orifice vaginal ou non. « Lorsqu’on a une IRM qui montre qu’il n’y a pas d’utérus, on sait que le vagin est tout petit (on parle de cupule vaginale d’environ 1 à 2 cm de profondeur, N.D.L.R.). Mais il n’y a pas d’urgence à savoir à quel point il est petit. On attend que la jeune fille soit demandeuse de le savoir, elle », assure la spécialiste.
La question du vagin dans le syndrome MRKH
Dans le syndrome MRKH, si utérus et vagins sont absents, les organes génitaux externes, c’est-à-dire, vulve, grandes et petites lèvres, et clitoris, sont parfaitement développés. Aussi est-il tout à fait possible d’avoir une sexualité malgré le syndrome, car le clitoris est tout à fait normal et fonctionnel.
Lorsque les jeunes femmes souhaitent avoir des rapports sexuels pénétrants, et qu’elles sont psychiquement prêtes, elles peuvent demander à recourir à des dilatateurs vaginaux, lesquels vont permettre d’agrandir progressivement la cavité vaginale jusqu’à obtenir un vagin « fonctionnel ». La procédure nécessite généralement six mois, avec un suivi médical régulier, toutes les 4 à 6 semaines.
Cela dit, cette technique n’a rien d’obligatoire : libres aux jeunes femmes de s’engager ou non dans cette démarche, selon où elles en sont dans leur vie relationnelle, intime et sexuelle. D’autant qu’il est possible de recourir à cette approche à tout âge de la vie.
En outre, il faut savoir que certaines jeunes filles réalisent cette méthode naturellement, avec des rapports sexuels pénétrants progressifs.
La chirurgie ne doit pas être systématique
La chirurgie consiste en une vaginoplastie, aussi appelée colpoplastie. Elle consiste à recréer un vagin (ou néovagin), le plus souvent en prélevant une partie de l’intestin grêle ou du côlon. S’ensuit tout un protocole pour transformer cette ébauche de vagin en vagin « viable ».
Si le recours à la chirurgie était très employé il y a quelques années dans le cas du syndrome MRKH, pour reconstituer un vagin, ça n’est plus systématique, et ne doit plus l’être. « Dans les études comparatives entre chirurgie et absence de chirurgie (et donc recours à des dilatateurs, N.D.L.R.), le temps pour acquérir un vagin qui soit fonctionnel, utilisable et normal, est comparable et d’environ six mois », assure le Dr Cheikhelard. La spécialiste souligne que la chirurgie a par ailleurs ses inconvénients, contraintes, risques, avec des suites opératoires, et, souvent, des complications. Le choix de créer son vagin appartient aux jeunes filles et jeunes femmes concernées, qui doivent être seules décisionnaires et n’entreprendre ce type de démarche – dilatation ou chirurgie – que lorsqu’elles se sentent prêtes et qu’elles désirent avoir une activité sexuelle pénétrante.
L’importance d’une prise en charge psychologique
L’annonce du diagnostic, et ses conséquences (absence de grossesse), peut être vécue comme un tremblement de terre pour les jeunes filles. Aussi, un suivi psychologique est désormais systématiquement proposé au sein des structures spécialisées dans la prise en charge de ce type de malformation. Cela dit, le Dr Cheikhelard explique que les jeunes femmes consultent rarement la psychologue dès l’annonce du diagnostic. En revanche, une fois l’annonce « digérée », elles sont plus nombreuses à y avoir recours. « Il ne faut pas oublier les parents, qui sont généralement là au moment de l’annonce du diagnostic. Surtout la maman », souligne le Dr Cheikhelard, qui rapporte que les mères de jeunes filles atteintes ont souvent un sentiment de culpabilité qu’il faut apaiser.
Grossesse et syndrome de Rokitansky : peut-on tomber enceinte sans utérus ?
L’utérus, et plus précisément la muqueuse utérine, étant l’endroit où l’embryon s’implante et se développe lors d’une grossesse. Aussi, il n’est biologiquement pas possible de mener à bien une grossesse viable sans utérus.
En théorie donc, il n’est pas possible, pour les femmes ayant le syndrome de Rokitansky, de tomber enceinte, du fait de l’absence d’utérus. Pour autant, d’autres solutions existent pour réaliser leur rêve de parentalité, si elles souhaitent devenir maman.
Comment devenir maman avec le syndrome de Rokitansky ou MRKH ?
Impossibilité d’être enceinte ne signifie pas impossibilité de devenir maman et de fonder une famille, fort heureusement. D’autres méthodes que la grossesse peuvent être envisagées pour devenir mère, et en premier lieu l’adoption. Bien que la procédure ne soit pas autorisée en France, certaines jeunes femmes atteintes du syndrome MRKH ont également recours à la Gestation Pour Autrui (GPA), à l’étranger.
Quant à la greffe d’utérus, si elle pourrait bien se généraliser dans les décennies à venir, elle n’est encore qu’au stade expérimental, chez l’humain certes, mais pas à grande échelle. Elle comporte en outre son lot de contraintes et complications (voir ci-dessous).
La greffe d’utérus : un protocole lourd et encore à l’essai
La presse généraliste et médicale a médiatisé ces cas de greffe d’utérus, preuve qu’ils demeurent encore exceptionnels.
« Actuellement en France, deux centres sont eus les autorisations pour réaliser de telles greffes : l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine, équipe du professeur Ayoubi, N.D.L.R.), et le centre hospitalo-universitaire de Rennes, qui a eu l’autorisation début 2025 », liste la spécialiste. L’hôpital Foch a eu l’autorisation pour 10 greffes à partir de donneuses vivantes, tandis que le CHU de Rennes a eu l’autorisation de procéder à 16 greffes, dont 8 à partir de donneuses vivantes, et 8 à partir de donneuses décédées. Ce type de greffe est donc encore à l’essai, car l’utérus est un organe très vascularisé, qui rend la greffe particulièrement difficile à réaliser. Le risque d’échec et de rejet demeure important, tout comme les contraintes liées à cette greffe ou à la fécondation in vitro qui suit la greffe, qui peut aussi échouer. « C’est à la fois miraculeux et compliqué, c’est un lourd protocole », résume le Dr Cheikhelard. Cela dit, les jeunes filles diagnostiquées récemment ou dans les prochaines années peuvent espérer pouvoir en bénéficier d’ici quelques années, la procédure pouvant s’améliorer d’ici là grâce à ces premiers essais, la première greffe d’utérus dans le monde datant de 2016.
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Qui contacter, où se renseigner ? Sites de référence, association, protocole
Le site du Centre de Référence des Pathologies Gynécologiques Rares, avec les coordonnées pour prendre RDV : https://maladiesrares-necker.aphp.fr/pgr/
La page dédiée au syndrome MRKH : https://maladiesrares-necker.aphp.fr/pgr/rokitansky/
Le Protocole National de Diagnostic et de Soins, de la Haute Autorité de Santé : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3300390/fr/aplasies-utero-vaginales-syndrome-de-mayer-rokitansky-kuster-hauser
La vidéo institutionnelle expliquant le syndrome : https://www.youtube.com/watch?v=VgZ8ayiDQck
Le site de l’Association de patientes : https://asso-mrkh.org/
L’association sur instagram : force_et_roki